[Récit du 19 septembre 2009]
"
Flo, tu ne crois pas que tu devrais envoyer une deuxième chronique à Yann
?"
- "
Mais qu'est-ce qu'on a à dire ! Nous passons notre temps à lire,
recroquevillés dans le van, sous l'épuisant claquement de la pluie sur la
tôle..."
Nuit étoilée sous
The Chief... - Pierre, lors de la lecture rituelle du soir
Après les soucis automobiles ("
p... de caisse américaine ! La faillite, ils
l'auraient bien méritée !!"), restait le problème climatique pour lequel la
solution est connue : la patience.
Pour rendre l'attente moins pénible, le canyon de Cheakamus est plutôt
bienvenu.
Une vingtaine de kilomètres au nord de Squamish, Cheak' (prononcez
"
tchique") accueille le premier 8b+ canadien,
Pulse, ainsi qu'un des 8b les
plus classiques du pays ("La Rose" canadienne),
Division Bell. Ces deux
lignes traversent l'impressionnante lame de granite du secteur Big Show où
Sonnie Trotter ouvrit notamment un 8c+.
La pluie nous encercle toujours, l'atmosphère quasi tropicale, si ce n'est
qu'il ne fait qu'une dizaine de degrès. Après nous être échauffé dans
Bottom
Feeder, un 7c classique, sec (si si) et technique, nous nous essayons à
Division Bell. La ligne est superbe ; une traversée sur des fentes en pente,
un crux en verrou et une oreille arquée, suivi d'une quinzaine de mouv très
physiques. Un vrai test de rési ! Plusieurs prises sont humides, rendant
l'enchaînement impossible. Et de toutes façons, nous ne nous sentons pas
encore au niveau réclamé par l'enchaînement.
Rebelotte le lendemain si ce n'est que c'est encore plus humide. Une montée
dans
Pulse pour Pierre qui confirme ce que pensent certains à demi-mots : le
premier 8b+ canadien aurait été côté 8c dans de nombreux endroits... Nous
terminons, la journée dans
Mr. Negative, un 7c bizarroïde qui comporte en
effet de très nombreuses prises négatives. Peu commode, la voie nous réclame
plusieurs essais.
le soleil se lève enfin sur Squamish ! - Pierre grimaçant, nous ne sommes plus habitués à
l'astre solaire !
Le lendemain, le ciel enfin dégagé nous permet de nous rendre dans la forêt
du Chief (au pied du big wall éponyme) pour s'essayer à l'une des rares
voies du coin,
Permanent Waves, que des locaux nous avaient conseillé. La
ligne est superbe, une des plus belles que j'ai vue.
Florent dans le début du crux final de Permanent Waves
(8b, Cacodemon Boulder)
Située sur le Cacodemon
Boulder, immense bloc de granite sur lequel se trouve
Dreamcatcher (le
célèbre 9a de Sharma),
Permanent débute par un arbre, puis une vire en pente
peu rassurante, les hostilités commencent vraiment sur une rampe oblique de
plats, très technique à grimper. La fin est très bloc : deux arquées à
serrer, des pieds précaires, puis un gros dynamique vers une écaille... La
voie est côtée 8a+, mais les grimpeurs que nous avons rencontré parlent
plutôt d'un 8b. Nous sommes plus que d'accord avec cette estimation. Il nous
faut deux séances rien que pour enchaîner la section bloc du haut. Reste à
rajouter la première partie en 7c ; pas vraiment gagné, d'autant qu'il faut
que ça colle...
À la troisième séance dans la voie, nous nous effondrons logiquement dans le
crux du haut... Réconfort : nous parvenons à enchaîner
Neurotica au premier
essai, un beau 8a (davantage dans notre style, des arquées éloignées) situé
sur un bloc au-dessus.
Après un break de deux jours à Vancouver où nous récupérons à la fois notre
van (avec une transmission toute neuve, mais notre épargne mise à mal...) et
Julie, l'amie de Pierre, qui passera deux semaines avec nous ici, nous
retournons à Cheak, sous la désormais habituelle pluie. Pierre fait un très
bon essai dans
Division Bell, mais le crux final a raison de lui, et de
toutes façons, la sortie était trempée... Je me contente d'une petite séance
de force dans
Pulse, avec comme objectif premier, de surcompenser pour être
en forme le lendemain pour
Permanent.
Le lendemain donc, le ciel est couvert mais ne pleure pas. Par contre, la
pluie est à nouveau annoncée pour la fin de journée. Pierre s'échauffe avec
Julie dans de très belles voies sur coinceurs.
Julie dans Burger and Fries (5.7, secteur Smoke
Bluff) - Pierre dans un 6b de Murin Park
À 17 heures, habités par un
stress aussi grand que la "fenêtre" météo est courte, nous sommes au pied de
Permanent, la voie qui nous hante depuis une semaine. La rampe est sèche, et
"
colle" suffisamment. Pierre s'élance le premier, arrive à la première
arquée du crux, où ses trois doigt semblent se placer mieux que d'habitude,
et d'un cri rageur, passe le dynamique final. Il se rétablit sans encombres
vers le relais. Soulagement. Plénitude. Deux sentiments que je suis encore
loin de connaître au moment où je m'élance à mon tour dans la voie. Je suis
fébrile dans la première partie, mais arrive tout de même relativement frais
dans le crux, je broie la dernière arquée avec trois doigts, contre quatre
habituellement, et m'élance de tout mon possible pour le saut final. Mes
deux phalanges se maintiennent, je sens l'écaille trembler sous mon poids et
la violence du mouvement. Ni moi ni la prise ne cédons. Je retrouve vite mes
esprits pour les dernières poussées de pieds précaires qui permettent de se
rétablir dans la dalle. C'en est fini de Permanent !
La raison de notre
périple m'apparaît évidente ; c'est bien sûr pour vivre de tels moments que
nous avons choisi de traverser l'océan, pour nous retrouver dan une forêt
austère et humide ; les paradis sont souvent cachés.
A suivre....