[Récit du 25 février 2010]
Marasme de l'extrême
De l'Espagne, j'ai tout entendu et son contraire : long, court, très long,
froid, chaud, très froid, très chaud, sec, humide à trous, à colos, à
réglettes, peuplé, désert, facile, dur, etc. Confession préalable et
nécessaire ; jamais en 30 ans (dont 15 à grimper), je n'avais mis un pied
là-bas.
Depuis quelques années, l'Espagne (sur)occupe la petite scène médiatique de
l'escalade. Patxi, Josune, Dani, Ramon, Iker, Edu, Pablo, Tino, Rikar,...
Vigoureuse dynastie qui sature les podiums, big wall et autres voies dures,
innombrables. Un vrai problème d'ailleurs : l'extrême est si exponentiel que
la confusion règne. Rajoutez à cela des noms hispano-cabalistiques, des
départs du fond ou autres exercices combinatoires désorientants... Alors,
pour démêler ce bazar de l'exploit, prévoyez de passer une heure par jour à
apprendre les news de
Kairn par coeur, ainsi que les blogs des mutants
sus-cités.
J'ai donc décidé de braver les menaces d'excommunication de certains de mes
camarades de cordée, et de me rendre en Terre Promise du Neuvième Degré,
afin de me faire mon propre avis. Car l'Espagne, on est "
pour" ou "
contre",
mais il semble qu'il faille choisir son camp !
Mecque en Cannes...
Avec Pierre, déjà rompu à la cause Catalane, nous optons pour Margalef, à
quelques encablures du fameux
Siurana. Margalef, impossible de ne pas en
avoir entendu parlé : plus de 100 voies au-dessus de 8a, et véritable
laboratoire du 9 pour toutes nos providences de la verticalité. En moins de
deux semaines,
Adam Ondra, Dave Graham, Nalle Hukkataival, Enzo Oddo,
Michael Fuselier, John Cardwell, Iker Pou, Ramon Julian (en j'en oublie sans
doute) ont été aperçus ici bas. Un festival people, auquel ne manquait à
l'appel que Sharma (je sais, ça fait plus cool de dire "Chris") ; le local
de Lerida ne s'est pas montré dans son fameux projet, une belle couenne sur
colonnettes. En tout cas, si vous voulez vous rincer les yeux devant cet
affriolant aéropage, la croisette de Margalef semble une destination tout
indiquée.
Avides d'ataraxie, filez plutôt vers les secteurs à l'ombre et/ou avec plus
de marche. Et que les grimpeurs de 6 & de 7 se rassurent, les belles voies,
parmi les 500 du site, sont loin de manquer dans ces niveaux.
Enzo Oddo dans Bumbayé (8c+,
voisin du "projet de Sharma" en 9b probable)
Land and Freedom
À l'image des républicains espagnols des années 30, soyez résistants ! Mais
ici, point de Phalangistes à abattre, mais des phalanges abattues, broyés
par des trous lancinants. À Margalef, de nombreuses voies portent la marque
du Frankenjura, vous en porterez les stigmates ; les chiquettes sont ici
aussi répandue que les oliveraies. Mais, si beaucoup de voies sont courtes,
elles sont tout de même résistantes et imposent une autonomie a minima de 20
mouvements. Et que les aficionados du sans fin se rassurent : des voies au
relais haut-perché, il y en a. L'Espagne doit tenir sa réputation !
Garantie par des secteurs aux caractères bien différents, la variété fait
vertu :
-longueur : de 10 à 35 mètres
-marche d'approche de "néant" (j'ai beaucoup pratiqué) à "longue"
-préhensions : de trous à colo (en passant par la réglette, plus rare)
-couleurs : de gris à ocre en passant par l'orangé, le jaune, le bleu
-profils : de Mouriès au
Brotsch
-orientations : des ténèbres aux limelight
-faune : cosmopolite, du débutant au mutant, du compétiteur (en quête de
légitimité minérale) au rochassier invétéré, du local bruyant au japonais
esseulé, en passant par le français (la frontière n'est pas loin), anglais,
hollandais, et (doit-on le préciser ?), l'allemand.
-pour la flore, adressez-vous à
Monsieur Wetta, notre
botaniste en herbe qui a séjourné à
Margalef cet hiver.
Un 7b+ de Margalef
Atmósfera
Isolé, le village de Margalef n'est pas spécialement beau mais recèle un
certain charme. En plus de sa belle église bien rénovée, vous y trouverez
aussi un bar, un petit restaurant plus que correct, une épicerie aux
horaires d'ouverture folkloriques, et le refuge de Jordi Pou (non non, pas
le frère d'Iker), grimpeur discret et sympathique, et un des principal
équipeur du site (
je vous suggère de lire son interview sur le site
d'EscaladeMag).
Ce sympathique endroit (offrant un dortoir d'une vingtaine de lits) est
idéal pour échanger autour des dernières croix, prendre une douche ou plus
raisonnablement une bière, consulter internet (wifi).
La nuit venue, un terrain de bivouac gratuit (avec de l'eau, mais non
potable) est une bonne option pour ceux qui veulent fuir les gros ronfleurs
italiens du refuge.
Pierre prend le soleil sous Demencia Senil (9a+)
Decepción
Pour contredire un célèbre topographe alsacien qui reproche à l'Espagne
d'être "
trop parfait", le tableau Margalefien n'est pas tout à fait digne
d'un chef d'oeuvre de
Velazquez. Certaines voies sont (mal) bidouillées,
Demencia Senil (9a+ de Sharma), ne ressemble pas à grand chose (rocher
bistré noir peu ragoûtant, et la moitié du temps, une charrette agricole
empêche l'accès à la voie), la promiscuité dans certaines classiques (et la
patine qui en découle), une météo chaotique en hiver, la saleté de certains
secteurs (nous avons mis à profit
un aprèm de repos pour en nettoyer un,
jonché de détritus en tout genre, mais il y a encore du boulot), ou encore
un furieux complexe d'infériorité face à tant de types forts...
Nalle Hukkataival essaye Demencia Senil (9a+)
Epílogo
Une entorse au genou a bêtement interrompu mon séjour ibère, mais une fois
remis sur pied (dans un gros mois), je compte bien retourner à Margalef !
A suivre....