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Chronique québécoise par JP Banville, MYSTÈRE AU BALLON NEON [escalade-alsace.com]

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MYSTÈRE AU BALLON NEON


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Chronique québécoise par Jean-Pierre Banville


MYSTÈRE AU BALLON NEON par JPB

-« C’est quoi la tente? C’est une farce: je ne vais pas passer la nuit dans ça! »

 

-« Regarde bien cette création hi-tech : tu vas pouvoir te vanter, photos à l’appui et pour le reste de ta vie, d’avoir passé une nuit arctique dans ce bijou du néo-kitch plein air. Plus communion avec la nature, c’est pas possible! »

 

-« Espèce de déjanté! Je vais me geler le derrière, cette nuit… je ne survivrai pas. On annonce -33 et nous sommes au sommet en plein vent. »

 

« Quel merveilleux derrière » se dit Lucien, « ce serait bien dommage de le laisser geler sans rien faire… »

 

-« J’ai loué les plus gros sacs de couchage disponibles à ’’La Conquête des Plateaux’’! On m’a assuré que je pourrais dormir en pleine tempête antarctique. Le même matériel a été utilisé par Richard Obert, l’explorateur, lors de sa traversée hivernale de la Picardie profonde. On ne craint rien… et en plus ils peuvent se zipper ensemble pour qu’on partage notre chaleur. »

 

-« Lucien… »

 

-« Et la tente est une Haffner Spécial, petite mais aérodynamique. Juste ce qu’il faut pour les expéditions en altitude. Le look est kitch mais c’est sympa comme tout et, en prime, il y a un crochet pour la bougie. Haffner s’en est servi pour sa face nord du Lac Blanc, la fois où il a perdu quinze kilos. »

 

-« Quinze kilos, Lucien? En une expédition? »

 

-« Oui, Ginette, quinze kilos... Le sac qui contenait ses bouteilles de Riesling et de Gewurztraminer est tombé de la paroi dans les profondeurs insondables du Lac Blanc! Une perte incalculable : un homme moins bien trempé aurait abandonné, mais pas lui. Il a fait le sommet, galvanisé par l’idée qu’un caviste restait ouvert tard le même soir.»

 

Lucien avait convaincu Ginette de monter au sommet du Ballon Néon et d’y passer la nuit pour ensuite, le lendemain matin, se rendre sur sa face nord où existait une petite cascade qui n’était que rarement gravie.

La montée n’avait pas été des plus fatigante. Le Ballon Néon était doté d’un télésiège et de quelques pistes qui faisaient le bonheur des jeunes de Néon et des villages alentours et attiraient même quelques touristes. Ginette et Lucien avaient pris la dernière chaise de la journée et comptaient bien piquer leur tente au sommet de la ’’ Kougelhopf’’, la piste la plus facile du domaine skiable.

 

Et Lucien avait de grands espoirs quant à sa nuit dans la Haffner Spécial. Ginette, Ginette… il en rêvait depuis des mois et voilà que l’occasion se présentait enfin. Seul avec Ginette dans une tente minuscule, par une nuit glacée, avec des sacs qui se jumellent.

Au diable la cascade! Si Ginette frissonne, Lucien sacrifierait volontiers sa matinée à la réchauffer.

 

Pour le moment, monter la tente. Aménager le campement. Se mettre à l’aise.

 

-« On laisse le matériel dehors : on ne fait que monter la tente. Facile! C’est une tente à piquet unique et elle sera parfaite ici, sur ce petit plateau. Regarde, Ginette, la vue qu’on a : les lumières de la plaine s’allument déjà. C’est un peu comme si nous étions dans l’espace. »

 

-« Oui, comme dans l’espace… il fait froid, dans l’espace… on a quelque chose à manger? »

 

-« Je fais une banquette de neige et je sors le poêle à essence. Au diable le réchauffement climatique! Ce soir, c’est omelettes aux lardons et un Gaillac de la meilleure trempe. »

 

Quinze minutes plus tard, de grosses omelettes étaient servies dans des assiettes préalablement réchauffées au dessus du feu. On ouvrit la bouteille et on trinqua à la nuit étoilée, aux absents, à la cascade du lendemain et aux joies de l’amitié. Il faut donner son dû à Lucien : il était bien organisé. Un objectif, un plan, de bons outils et la réussite est assurée.

 

-« Allez, on se couche! Faut être en forme, demain… je couche près de la porte. »

 

-« Lucien, je ne sais pas comment on va entrer tous les deux dans ce tunnel. On sera sans doute ensemble près de la porte! C’est minuscule.»

 

-« Et d’autant plus chaud… »

 

Lucien et Ginette étaient couchés depuis une bonne demi heure. Les sacs d’hiver loués à La Conquête des Plateaux semblaient parfaitement adéquats pour la nuit arctique mais, en expédition hivernale, il faut compter avec le métabolisme de chacun.

 

-« Lucien… j’ai froid… j’ai terriblement froid… mes mains sont glacées. »

 

Lucien se décida à jouer le tout pour le tout.

 

-« Nos deux sacs se jumellent : il suffit de les zipper et alors on gagnera en chaleur et en espace. Attends, je dézippe le mien… »

ZIPPPPP

 

-« Puis le tien… il va y avoir un petit courant d’air. »

 

ZIPPPPP

 

-« Et je rezippe le tout… »

 

ZIPPPPP

 

-« Voilà! Tu vois, on a un petit peu plus d’espace. Maintenant, donne-moi tes mains que je les réchauffe. On fait comme ça : tu les poses sous mes bras, collées à mon cœur…voyons, corps… je veux dire corps. Tu te rapproches un peu… oui, comme ça… c’est déjà plus chaud! »

 

-« Coquin! Et je suppose que si nous étions totalement nus, on aurait encore plus chaud?’

 

-« Tu sais que tu as raison? Je l’ai lu dans ’’Par Là Haut’’ : nos vêtements nuisent à la circulation du sang et peuvent être la cause d’hypothermies graves. Moi, j’enlève tout : la nuit va être froide! »

 

-« Et longue… elle risque d’être longue… »

 

-« A propos de long, Ginette, j’ai quelque chose à te montrer. Mon piolet de dry-tooling… idéal pour les fissures et les itinéraires mouillés! Le manche a une courbure parfaite, il tient bien en main. Et je t’ai déjà dit qu’à la salle, j’étais le meilleur sur les prises fuyantes, les rondeurs, les pincettes?  Je possède la meilleure préhension du club. »

 

-« Lucien, tu as un très beau piolet. Tu vas t’en servir demain? Il faudrait pratiquer un peu : tu me sembles un peu faible des pectoraux pour manier des engins de dry-tooling… »

 

-« Tu vas voir si je suis un peu faible des pectoraux… viens voir papa… »

 

Lucien avait effectivement une excellente préhension sur les rondeurs et il aimait, tout autant que Ginette laisser courir ses doigts les prises les plus innatendues. Un observateur indépendant aurait pu jurer que le sac de couchage contenait une bonne douzaine de mains tant l’action était vive. La tente roulait de tous les bords comme le Titanic durant la tempête. Si le Titanic avait flotté assez longtemps pour affronter une tempête!

 

-« Et ce piolet, Lucien, tu me montres comment on s’en sert? »

 

-« Il faut trouver l’endroit idéal pour bloquer dans la fissure : rien de pire que les mauvais ancrages! Comme ça… »

 

La tente commença à tanguer dangereusement à mesure que des cris s’élevaient dans l’air cristallin de janvier. On aurait dit un paquet de chats sauvages se disputant la dépouille d’un lièvre. Tout en différences, les cris finirent par s’accorder et le tangage devint plus prononcé.

 

La tente, une construction de nylon pour la structure et de toile renforcie de fibre pour le plancher, était posée directement sur la neige bien tapée de la piste. Le toile renforcie, au contact de la neige, devint particulièrement glissante surtout que la chaleur dégagée par les corps en mouvement faisait glacer la surface de contact.

 

Lucien et Ginette avaient atteint leur vitesse de croisière quant, tout à coup, la structure toute entière décida de répondre à l’appel de l’attraction terrestre  et glissa… lentement tout d’abord puis de plus en plus vite vers le bas de la pente. La Kougelhopf n’avait jamais vu pareil équipage! La tente glissait sur fond de cris et halètements, direction le chalet des skieurs quelques centaines de mètres plus bas.

 

Par le plus grand des hasards, Laurent Pitchou remontait au même moment une piste perpendiculaire avec la machine à damer. Une piste… disons un chemin de traverse.  Laurent passait ses nuits, seul, à monter et descendre le Ballon Néon au volant de sa machine. Et il picolait, il picolait pas mal : du blanc, du rouge, du rosé et du pétillant. Souvent dans la même soirée. Un foie de plomb, le Laurent!

 

Laurent, au volant de son mastodonte, ne vit rien venir. Sa vitre était ouverte pour profiter du grand air et expulser les épaves.

La tente allait atteindre une vélocité assez grande pour s’extirper de l’attraction terrestre quand elle heurta un petit changement de dénivelé causant sa mise en orbite immédiate.

Laurent n’eut que le temps de voir passer, au dessus de sa cabine, la silhouette d’un gigantesque taon qui émettait des sons hors de tout ce qu’il avait pu entendre sur la chaîne ’’Peur Bleue’’.

Il jeta sa bouteille de gros rouge hors de l’habitacle et vira bout pour bout avec l’intention d’aller avertir le village de l’imminence de l’attaque des insectes géants. Il serait enfin le héros qu’il avait toujours rêvé d’être….

 

La tente, après un vol plané de quelques centaines de mètres, s’écrasa dans la neige folle, sous un gros sapin. Au contact, un cri terrible, le son perçant de gorges à vif, fusa dans la nuit. Le curé du village voisin jurait encore quelques semaines plus tard qu’un glissement de terrain devait s’être produit, une avalanche, une éruption. Oui! Une éruption avec plein de lave qui jaillit du cratère. S’il avait su.

 

-« Ginette… je n’ai jamais vécu quelque chose comme ça! Tu es une bête. »

 

-« Mais qu’est-ce qui est arrivé au manche du piolet? Cassé??? Attends un peu, je sais comment arranger ça. Dans dix minutes, ce sera comme neuf. Tu ne pourras pas faire de la cascade avec un tel outil : faut y voir. Je t’ai déjà mentionné que je faisais de la plongée?»

 

Ginette plongea en apnée vers les profondeurs du sac commun………………….   

 

******

Isidore Squamule entra en trombe dans les locaux de ’’La Conquête des Plateaux’’ et se dirigea vers l’arrière du commerce où Dollard Fallot était confortablement assis dans un fauteuil, feuilletant le nouveau best-seller d’escalade :’’Une perceuse pour Oman’’.

 

-« Dis mon oncle… tu n’aurais pas vu la tente du petit Roméo, le fils de mon voisin? Je l’ai rangée dans le magasin il y a trois jours et Roméo fait vibrer toutes les fenêtres du quartier à force de hurler pour avoir sa tente. »

 

-« La tente? La tente dans le sac ovale noir? »

 

-« C’est ça! Elle est où? »

 

-«  Celle-là… et bien je l’ai louée. Un grimpeur tout à fait novice – et crédule – qui allait faire sa première voie de glace quelque part en Alsace. Il ne me restait rien à louer alors je me suis dit qu’il ne se rendrait, de toute façon, jamais au pied de la cascade. Et il a loué deux sacs de couchage pour être bien sûr de ne pas geler. Pas de problèmes : Roméo aura sa tente dans deux jours et une surprise en plus. Apporte lui le casque intégral de descente en VTT, là, sur la deuxième tablette: ça devrait assourdir ses cris en attendant. Si cet enfant demeurait à coté du cimetière, ses hurlements réveilleraient les morts!»






JPB






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