« C’est décidé! On change les portes et la
majorité des fenêtres!! Au diable ta vieille porte : tu en choisiras
une neuve à ton goût. »
Gère Mène a tranché : je vais investir le
coût de mon prochain voyage d’escalade dans la rénovation immobilière. Tout
cela parce que, cet hiver, la porte principale s’est refusée à ouvrir. En fait,
la porte principale s’est complètement tordue à cause de l’humidité ambiante.
Tout ici est d’époque… cinquante ans… et une porte de bois plein comme chez moi,
ça ne se fait plus. Pas plus que les fenêtres coulissantes doubles dont le
pouvoir isolant approche le zéro absolu.
Tous mes voisins ont de nouvelles portes et
fenêtres, toute la rue possède depuis au moins une grosse décennie de nouvelles
portes et fenêtres. Alors, ayant été
obligé en plein hiver de dévisser la poignée de la porte et de mettre des
planches sur les trous ainsi apparus, je dois me résigner à jeter un morceau
d’histoire.
J’ai donc choisi une porte … bon, elle a choisi
une porte classique mais j’ai insisté pour que le montant latéral comporte une
vitre gravée avec une belle image de montagne. Les Rocheuses sans doute, une
pile d’assiettes empilées depuis des millénaires et où pas une falaise
n’existe, mais une montagne quand même. J’ai suggéré au vendeur la face bien
connue du Windstein mais ils ne font pas dans le ’’custom-made’’. Hélas…
Gère Mène me sermonne en me demandant qu’est-ce
que vont penser les voisins, déjà qu’ils sont peu enclins à nous saluer depuis
que ma tondeuse a perdu une roue et que je n’obstine à la passer comme ça,
trois roues et basta! Et je vous ai déjà parlé de mes deux petits Inukshuk en
avant??
Alors je réponds :
« Je suis chez moi, c’est ma porte et je
l’achète comme je veux. S’ils ne sont pas contents, qu’ils aillent chez le
diable, bande de riches crétins! »
Oups… non, non… ils ont droit à leurs opinions…
mais ils sont riches et, depuis le temps… (coup de casserole T-Fal derrière la
tête et un morceau de robot en moins).
Tout cela pour vous dire que quand on est chez
soi, on fait ce qu’on veut. D’où l’expression :’’Maître chez soi’’. Ouais!
C’est ce qu’ont compris bien des grimpeurs
américains et canadien anglais…
Devant les pressions des promoteurs
immobiliers, des chasseurs , des écolos, des propriétaires hargneux et des
multinationales, ils ont décidé de fonder des ’’Climbers’ Coalition’’ pour
acheter leurs terrains de jeu mis en péril.
Ils ont investi leurs deniers, ils ont été
chercher du financement privé, des souscriptions et des subventions pour acquérir
le bout de terrain qui allait disparaître du patrimoine grimpable, que ce soit
champs de blocs ou falaises.
Faites une recherche sur Skaha ou Squamish; sur
le Southeastern Climbers Coalition ou, plus généralement, sur le très connu
Access Fund.
Bien entendu, tous ces organismes ne visent pas
nécessairement à acheter des terrains. L’option la plus facile demeure la
négociation avec les propriétaires et des ententes à long terme. De plus le
gouvernement américain et son service des Parcs est pour le moins chatouilleux
à propos de la ’’Nature’’ : on peut attirer des millions de touristes avec
leurs voitures et motorhomes dans les parcs mais on ne peut pas y placer un
ancrage permanent. L’ancrage pollue mais la route et les véhicules sont
légitimes au pays de Ford et de GM…
Donc, en dernier recours, les grimpeurs
investissent leur temps et leur argent pour devenir propriétaires.
Comme moi et ma porte, ils peuvent ensuite
gérer leur propriété comme ils le veulent et assurer la pérennité de
l’activité.
Solution élégante, n’est-ce pas?
Bon, si c’est le cas… pourquoi ce n’est pas
fait en France?
Où sont les tentatives?
Vous ne me ferez pas croire qu’il n’existe pas
de problèmes d’accès, que certains sites ne sont pas menacés! Je pourrais vous
en nommer quelques uns mais comme je suis loin et qu’il est tard…
Encore plus que la Climbing Attitude, l’Investing Attitude devrait être la norme ou du moins une solution
attrayante à un problème épineux. Comme on dit chez nous : « Mettre
les bottines dans le même sens que les babines! ».
On se plaint des pressions que subit le sport
mais on fuit, collectivement, vers ailleurs sans trop chercher à se défendre.
On perd une falaise? On va ailleurs en pensant que ce sera mieux. L’avenir
est-il dans la fuite?
Je ne crois pas.
Innover demande un acte de foi à tout casser.
Imiter ne demande que de la recherche et de
l’huile de coude.
Imitons nos confrères américains qui n’ont pas
toujours tort!
Investir dans une passion peut sembler vain. Ça
ne sera plus le cas dans trente ou quarante ans : le temps de la fuite
vers l’avant sera passé et les occasions d’affaire seront disparues depuis
longtemps.
J’aurais pu décider de vivre avec ma vieille
porte et mes vieilles vitres.
Mais un jour je voudrai vendre la maison et cet
investissement qui me parait majeur actuellement va me rapporter une coquette
somme.
Mais en vérité je le fais pour avoir la
paix : je paie maintenant et je n’entends plus Gère Mène pester devant la
porte qui ne ferme plus.
Une aubaine!