Vous savez ce qui me dérange le plus dans la
littérature actuelle, les émissions télé pour jeunes et moins jeunes, les B.D.,
les films grand public?
Tout le monde possède un ’’pouvoir’’…
Tous les héros sont des héros parce qu’ils sont
surhumains d’une façon ou d’une autre.
Ils lisent dans les pensées, volent, se
métamorphosent, voient et parlent aux esprits, lancent du feu ou de la glace,
scrutent le futur et sont à l’épreuve des balles. Ils modifient le temps et l’espace.
Ils franchissent des distances énormes et réussissent à changer le plomb en or.
Je ne donnerais jamais à un enfant un Nintendo
DS… donc le petit Bizarre en a fait son deuil. Par contre, il a eu des Lego et
un gros tas de livres.
Dont la B.D. ’’ Double Assassinat dans la Rue Morgue’’ ( Delcourt par Morvan et Druet ) basée sur l’œuvre de Poe.
Je vais vous avouer quelque chose de très
personnel… quant il est né, le Bizarre, je l’ai ramené à la maison – un petit
bungalow sur la côte ouest américaine – et il hurlait sans arrêt. Mais
réellement sans arrêt… Le premier soir, incapable de dormir, je l’ai posé dans
ma main – j’ai de très grosses mains – et j’ai saisi le premier livre qui
traînait.
’’ Double Assassinat dans la Rue Morgue’’!
Et je me suis promené toute la nuit en lui
lisant le chef d’œuvre de Poe………..
Aucun ’’pouvoir’’ ni chez Poe, ni chez son
héros, Dupin.
Uniquement un intellect supérieur et une
faculté d’analyse développée.
Uniquement des qualités humaines. Pas de
surhomme, pas de ’’pouvoir’’.
Un homme et sa meilleure arme : son
cerveau!
Et quelle description, dans les première pages,
de l’utilisation de ce cerveau!
S’il est un livre que vous devez lire ou relire
en 2009, c’est celui-là.
Encore plus depuis qu’il est en B.D.
Je vous vois venir : vous allez me dire
que le froid me gèle le cerveau et que Dupin n’a rien à voir avec l’escalade.
D’accord! Parfaitement vrai.
Mais qu’en est-il des pouvoirs surhumains?
Du genre de ceux qui nous permettraient de
gravir une paroi rocheuse en se servant de minuscules pointes d’acier greffées
au bout de nos extrémités?
Le drytooling nous promettait, il y a quelques
années, un univers de sensations totalement nouvelles.
J’ai été l’un des premiers à me précipiter,
ouvrant quelques voies par moins 40, et espérant que la foule suivrait le
mouvement. Après tout, quoi de plus naturel pour un grimpeur désoeuvré que de
chercher d’autres terrains de jeu durant la saison morte. Et, pourquoi pas,
durant toutes les saisons car un jeu est un jeu!
La glace est pour le moins répétitive. Je
pensais qu’il y avait un avenir au dry si on étendait un tant soit peu le
terrain de jeu. D’autres étaient du même avis car les articles sur cette
nouvelle pratique devenaient quasi quotidiens. Certains ont même craint pour
leurs falaises, pensant qu’une foule allait débarquer crampons aux pieds et
piolets prêts à graffigner chaque cm carré de bon calcaire, désirant essayer
les classiques du lieu. Je suis même sûr que certains, dans le Verdon,
attendaient de pied ferme les premiers drytoolers.
Les manufacturiers ont lancé un blitz de design
et fabrication : piolets, crampons, gants, vestes… tout pour le grimpeur
un peu sérieux.
Là je dois dire que j’ai commencé à craindre.
Combien pour des ergots? Combien pour des piolets spécialisés? Combien pour des
gants qui ’’collent’’? Combien pour la nouvelle petite veste ’’in’’ portée pour
la gloire du moment?
Et puis il y a eu les cotations… c’était tout
et n’importe quoi! Deux ou trois échelles… des disputes à n’en plus finir. Et
des compétitions!!!
Oui, la compétition a suivi et comme on se
lasse facilement des figures en 4 ( le Yaniro) et des gens la tête en bas sur
leurs ergots de crampons, on a ajouté des troncs, des jetés , des vieux pneus,
des prises vissées… bref, on a mis le paquet!
Mais il y a une limite à ce que le grimpeur
moyen est capable de payer. S’il faut en croire certains experts, la dette
personnelle causée par l’achat d’équipement de drytooling serait en partie
responsable de la crise financière qui touche la planète.
Il y a aussi une limite aux lieux de
pratique : si on ne peut grimper sur des sites établis, il faut trouver
des sites neufs mais trop pourris pour l’escalade régulière tout en demeurant
sécuritaires. Pas facile, vraiment pas facile. Les Rocheuses canadiennes sont
pourries à souhait et pourraient faire subsister le dry mais il faut s’y rendre
et, réellement, qui veut passer ses vacances à manger des beignets et à boire
un café infect?
Et même si vous hypothéquez votre maison et que
vous achetiez ces piolets et ces crampons, il faut quand même savoir s’en
servir! Ce n’est pas donné à tous d’aller de piolet en piolet, tenu par des
prises qui menacent de casser sous votre poids, bloquant un ergot ici et une
pointe là et priant tous les dieux de la terre pour se rendre au prochain point
sans tomber. Tomber voulant dire voler avec, aux mains, deux outils que les
Templiers auraient volontiers utilisés contre les Infidèles et aux pieds des
pointes dignes d’un technicien de l’Inquisition.
Je n’ai tant brisé de pantalons hi-tech qu’en
drytooling…
Encore plus, il y a Miss Météo qui s’en mêle
car allez-vous drytooler par beau temps? Par temps chaud? Bien sûr que non!
C’est une pratique de mauvais temps…
Or les grimpeurs n’aiment pas le mauvais temps,
Ils aiment la chaleur, les petites marches d’approche, le sac léger. Ils aiment
le tribal, la foule qui applaudit, d’où l’attrait du bloc. Or si vous
réussissez à attirer votre blonde et vos amis au pied d’une falaise laide à
faire peur, par temps froid et humide, vous avez de super pouvoirs.
Le drytooling n’est pas mort. Le drytooling
n’est pas fort.
Terminé les envolées dithyrambiques sur la
pratique des années 2000.
La majorité des amateurs est à rembourser les
dettes accumulées lors des achats répétés de piolets ayant la fâcheuse tendance
à tordre lorsque coincé dans les fissures et des gants ’’techniques’’ à 65
euros qui durent le temps des lilas. Ils soignent les chevilles foulées et les
épaules déboîtées.
Ils épargnent pour des vacances à Kalymnos,
belle falaise et temps superbe.
Avons-nous appris quelque chose?
Non. C’est l’histoire du monde qui se répète.
Le changement, la nouveauté.
On nous promettait un nouveau monde, on nous
donnait des pouvoirs hors du commun avec tous ces nouveaux outils. On nous
faisait miroiter la célébrité immédiate avec une lettre, un chiffre, facile à
obtenir de par l’immaturité de la pratique.
Maintenant je chercherais un ergot dans un
magasin spécialisé et je n’en trouverais pas en stock. Ou si peu.
Certains, ici, trafiquaient même des patins
pour s’en faire des armes plus performantes dans la course vers la célébrité.
Quelle horreur! Ils doivent maintenant regarder l’épisode comme une erreur de
jeunesse.
Les quelques sites de dry ne voient maintenant
qu’une ou deux cordées par fin de semaine. La glace a repris ses droits malgré
l’hébétude qu’elle produit au bout de quelques mois.
Ce fut comme une de ces fièvres tropicales
subites, ces maladies contagieuses qui déciment un peuple en quelques jours
puis disparaissent tout aussi soudainement.
Ébola? Vous connaissez??
Voilà! Tout est dit…
Je soupçonne que la prochaine passade sera
l’escalade d’un mur recouvert de velcro boucle en utilisant des gants et des
genouillères fait de velcro crochet.
Le tout pour les jours trop chauds pour
fréquenter la falaise.
La chaleur, j’irai la chercher dans quelques
jours dans le – vrai – sud. Au bord d’une plage. Une semaine. A me faire
laminer par des vagues énormes. A me faire empaler par des oursins gros comme
des chats. A risquer l’hépatite et le choléra à chaque repas. A hurler après le
Bizarre pour qu’il ne s’éloigne pas trop des sentiers en tentant d’attraper les
iguanes d’un mètre de long. A supporter les touristes qui n’y vont que pour la
piscine et le rhum à volonté et qui ne cessent de parler au cellulaire pour
annoncer à leur beau-frère resté au froid qu’il fait encore un temps superbe.
Ensuite je reviens et je relance le concours
Eroscalade!
Aiguisez vos crayons…
JPB