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Yann Corby
LE SON DU PIOLET DANS LE VIDE ABSOLU


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Chronique québécoise par Jean-Pierre Banville






Vous savez ce qui me dérange le plus dans la littérature actuelle, les émissions télé pour jeunes et moins jeunes, les B.D., les films grand public?

Tout le monde possède un ’’pouvoir’’…

Tous les héros sont des héros parce qu’ils sont surhumains d’une façon ou d’une autre.

Ils lisent dans les pensées, volent, se métamorphosent, voient et parlent aux esprits, lancent du feu ou de la glace, scrutent le futur et sont à l’épreuve des balles. Ils modifient le temps et l’espace. Ils franchissent des distances énormes et réussissent à changer le plomb en or.

Je ne donnerais jamais à un enfant un Nintendo DS… donc le petit Bizarre en a fait son deuil. Par contre, il a eu des Lego et un gros tas de livres.

Dont la B.D.  ’’ Double Assassinat dans la Rue Morgue’’ ( Delcourt par Morvan et Druet ) basée sur l’œuvre de Poe.

Je vais vous avouer quelque chose de très personnel… quant il est né, le Bizarre, je l’ai ramené à la maison – un petit bungalow sur la côte ouest américaine – et il hurlait sans arrêt. Mais réellement sans arrêt… Le premier soir, incapable de dormir, je l’ai posé dans ma main – j’ai de très grosses mains – et j’ai saisi le premier livre qui traînait.

’’ Double Assassinat dans la Rue Morgue’’!

Et je me suis promené toute la nuit en lui lisant le chef d’œuvre de Poe………..

Aucun ’’pouvoir’’ ni chez Poe, ni chez son héros, Dupin.

Uniquement un intellect supérieur et une faculté d’analyse développée.

Uniquement des qualités humaines. Pas de surhomme, pas de ’’pouvoir’’.

Un homme et sa meilleure arme : son cerveau!

Et quelle description, dans les première pages, de l’utilisation de ce cerveau!

S’il est un livre que vous devez lire ou relire en 2009, c’est celui-là.

Encore plus depuis qu’il est en B.D.

Je vous vois venir : vous allez me dire que le froid me gèle le cerveau et que Dupin n’a rien à voir avec l’escalade.

D’accord! Parfaitement vrai.

Mais qu’en est-il des pouvoirs surhumains?

Du genre de ceux qui nous permettraient de gravir une paroi rocheuse en se servant de minuscules pointes d’acier greffées au bout de nos extrémités?

Le drytooling nous promettait, il y a quelques années, un univers de sensations totalement nouvelles.

J’ai été l’un des premiers à me précipiter, ouvrant quelques voies par moins 40, et espérant que la foule suivrait le mouvement. Après tout, quoi de plus naturel pour un grimpeur désoeuvré que de chercher d’autres terrains de jeu durant la saison morte. Et, pourquoi pas, durant toutes les saisons car un jeu est un jeu!

La glace est pour le moins répétitive. Je pensais qu’il y avait un avenir au dry si on étendait un tant soit peu le terrain de jeu. D’autres étaient du même avis car les articles sur cette nouvelle pratique devenaient quasi quotidiens. Certains ont même craint pour leurs falaises, pensant qu’une foule allait débarquer crampons aux pieds et piolets prêts à graffigner chaque cm carré de bon calcaire, désirant essayer les classiques du lieu. Je suis même sûr que certains, dans le Verdon, attendaient de pied ferme les premiers drytoolers.

Les manufacturiers ont lancé un blitz de design et fabrication : piolets, crampons, gants, vestes… tout pour le grimpeur un peu sérieux.

Là je dois dire que j’ai commencé à craindre. Combien pour des ergots? Combien pour des piolets spécialisés? Combien pour des gants qui ’’collent’’? Combien pour la nouvelle petite veste ’’in’’ portée pour la gloire du moment?

Et puis il y a eu les cotations… c’était tout et n’importe quoi! Deux ou trois échelles… des disputes à n’en plus finir. Et des compétitions!!!

Oui, la compétition a suivi et comme on se lasse facilement des figures en 4 ( le Yaniro) et des gens la tête en bas sur leurs ergots de crampons, on a ajouté des troncs, des jetés , des vieux pneus, des prises vissées… bref, on a mis le paquet!

Mais il y a une limite à ce que le grimpeur moyen est capable de payer. S’il faut en croire certains experts, la dette personnelle causée par l’achat d’équipement de drytooling serait en partie responsable de la crise financière qui touche la planète.

Il y a aussi une limite aux lieux de pratique : si on ne peut grimper sur des sites établis, il faut trouver des sites neufs mais trop pourris pour l’escalade régulière tout en demeurant sécuritaires. Pas facile, vraiment pas facile. Les Rocheuses canadiennes sont pourries à souhait et pourraient faire subsister le dry mais il faut s’y rendre et, réellement, qui veut passer ses vacances à manger des beignets et à boire un café infect?

Et même si vous hypothéquez votre maison et que vous achetiez ces piolets et ces crampons, il faut quand même savoir s’en servir! Ce n’est pas donné à tous d’aller de piolet en piolet, tenu par des prises qui menacent de casser sous votre poids, bloquant un ergot ici et une pointe là et priant tous les dieux de la terre pour se rendre au prochain point sans tomber. Tomber voulant dire voler avec, aux mains, deux outils que les Templiers auraient volontiers utilisés contre les Infidèles et aux pieds des pointes dignes d’un technicien de l’Inquisition.

Je n’ai tant brisé de pantalons hi-tech qu’en drytooling…

Encore plus, il y a Miss Météo qui s’en mêle car allez-vous drytooler par beau temps? Par temps chaud? Bien sûr que non!

C’est une pratique de mauvais temps…

Or les grimpeurs n’aiment pas le mauvais temps, Ils aiment la chaleur, les petites marches d’approche, le sac léger. Ils aiment le tribal, la foule qui applaudit, d’où l’attrait du bloc. Or si vous réussissez à attirer votre blonde et vos amis au pied d’une falaise laide à faire peur, par temps froid et humide, vous avez de super pouvoirs.

Le drytooling n’est pas mort. Le drytooling n’est pas fort.

Terminé les envolées dithyrambiques sur la pratique des années 2000.

La majorité des amateurs est à rembourser les dettes accumulées lors des achats répétés de piolets ayant la fâcheuse tendance à tordre lorsque coincé dans les fissures et des gants ’’techniques’’ à 65 euros qui durent le temps des lilas. Ils soignent les chevilles foulées et les épaules déboîtées.

Ils épargnent pour des vacances à Kalymnos, belle falaise et temps superbe.

Avons-nous appris quelque chose?

Non. C’est l’histoire du monde qui se répète.

Le changement, la nouveauté.

On nous promettait un nouveau monde, on nous donnait des pouvoirs hors du commun avec tous ces nouveaux outils. On nous faisait miroiter la célébrité immédiate avec une lettre, un chiffre, facile à obtenir de par l’immaturité de la pratique.

 

Maintenant je chercherais un ergot dans un magasin spécialisé et je n’en trouverais pas en stock. Ou si peu. 

Certains, ici, trafiquaient même des patins pour s’en faire des armes plus performantes dans la course vers la célébrité. Quelle horreur! Ils doivent maintenant regarder l’épisode comme une erreur de jeunesse.

Les quelques sites de dry ne voient maintenant qu’une ou deux cordées par fin de semaine. La glace a repris ses droits malgré l’hébétude qu’elle produit au bout de quelques mois.

Ce fut comme une de ces fièvres tropicales subites, ces maladies contagieuses qui déciment un peuple en quelques jours puis disparaissent tout aussi soudainement.

Ébola? Vous connaissez??

Voilà! Tout est dit…

Je soupçonne que la prochaine passade sera l’escalade d’un mur recouvert de velcro boucle en utilisant des gants et des genouillères fait de velcro crochet.

Le tout pour les jours trop chauds pour fréquenter la falaise.

La chaleur, j’irai la chercher dans quelques jours dans le – vrai – sud. Au bord d’une plage. Une semaine. A me faire laminer par des vagues énormes. A me faire empaler par des oursins gros comme des chats. A risquer l’hépatite et le choléra à chaque repas. A hurler après le Bizarre pour qu’il ne s’éloigne pas trop des sentiers en tentant d’attraper les iguanes d’un mètre de long. A supporter les touristes qui n’y vont que pour la piscine et le rhum à volonté et qui ne cessent de parler au cellulaire pour annoncer à leur beau-frère resté au froid qu’il fait encore un temps superbe.

Ensuite je reviens et je relance le concours Eroscalade!

Aiguisez vos crayons…



JPB






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