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Yann Corby
LA RETRAITE AVANT LA BIÈRE?


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Chronique québécoise par Jean-Pierre Banville





J'écoutais les infos ce midi et deux briques sont passées par l'écran du téléviseur pour retomber sur le plancher de bois franc. Immédiatement suivies par une grenade lacrymogène qui a donné un très mauvais goût à mon sandwich au thon.

Vous devinez facilement que je syntonisais les infos en provenance de la Gaule!

César, déjà, parlait du tempérament gaulois. Remarquez qu'il n'a jamais mentionné l'âge de la retraite obligatoire dans le village d'Astérix! J'ose à peine imaginer le casino si Abraracourcix avait statué qu'il y avait un âge maximum pour aller tâter du Romain… Vous voyez Agecanonix ne courant plus sus aux légions?
Ordralfabétix n'aurait pas assez de poissons en stock pour la bagarre qui suivrait!

C'est une drôle de situation, cette crise de la retraite. Ici, en Amérique, personne ne comprend. La majorité des gens tel que moi n'ont pas de retraite car ils n'ont pas de caisse de retraite... donc ils travaillent toute leur vie. En espérant qu'un proche s'occupe d'eux dans leur vieil âge ou que la charité les prenne en charge. Alors travailler deux ans de plus après quarante ans de cotisation pour justifier un fond de retraite…

Est-ce juste et humain? Non, certainement pas … et je peux comprendre que certains Gaulois se sentent brimés devant ce manque à l'égalité officielle du dogme républicain. Mais la société… elle est juste et égalitaire? Vraiment??
J'ai le vague souvenir d'un château sur les bords du lac d'Annecy et d'un autre sur un cap surplombant le lac. Propriétés privées… l'égalité par l'exemple sans doute!

Ne vaudrait-il pas mieux sortir de ce monde en beauté comme l'a fait Kurt Albert il y a quelques semaines? Mourir au sommet de son art?? Mais qui, chez les jeunes, se souvient encore de Kurt Albert?

Est-ce qu'il y a un temps pour prendre sa retraite du monde de la montagne? Un âge limite? L'usure du temps, la lassitude, le manque d'intérêt, les blessures, les obligations familiales et l'attraction d'un corps féminin causent plus de défections dans nos rangs que la chute tragique sur l'Alpe assassine.

Combien de jeunes grimpeurs ont profité d'une retraite anticipée parce qu'ils avaient débuté en salle sans trouver la motivation ou les contacts pour transférer vers une pratique extérieure? Moi je sais bien que la salle d'escalade, c'est la castration chimique de la passion par magnésie interposée… demain je débute une série de cours dans une école secondaire où il y a un petit mur et la première chose que je vais dire aux jeunes, c'est qu'il faut aller sur du vrai rocher à la première occasion!

Et combien de grimpeurs, suite à une crise de Kronthalose aigue ou une Orpierrite fulgurante, ont délaissé l'escalade pour jouer aux boules? Et si seulement c'était celles-là! Mais non … ce sont celles en métal qui les intéressent. J'en connais même un qui, souffrant d'une scoliose de la Tête de Chien, s'est embarqué à la barre d'un voilier nain et y passe ses temps libres. Nous perdons nos plus beaux éléments!
L'escalade et la montagne sont des activités où le voyage est la base d'une saine pratique. Pour apprécier, il faut visiter. Pour s'améliorer, il faut tâter d'un maximum de caillou. La lassitude par l'habitude, voilà une cause majeure de retraite.

Nous perdons beaucoup de monde et ce, beaucoup trop tôt. Il n'y a pas de retraite légale en montagne. Donc il devrait y avoir beaucoup plus de grimpeurs en activité or des tranches d'âge complètes sont sous représentées au pied des falaises.

Je me demande quelquefois pourquoi je continue. J'essaie de rationaliser ma passion. Pas facile… je pourrais ne faire que du télémark ou du surf. Mais quand je suis éloigné du rocher pour quelque temps, je me sens mal, physiquement.
Étrange, non? Et je ne suis pas le seul. Certains vivent du vertical; certains ont modelé leur vie autour de la pratique. Ce n'est pas moi ,ni eux, qui souhaitent une retraite. Même au sommet de notre gloire, si éphémère soit-elle!

J'ai trouvé, récemment, une étude qui séparait les sports en deux catégories : les sports dionysiaques et les sports apolloniens.
Le sport apollonien par excellence serait sans doute le 100 mètres sprint. Personne ne s'entraîne à ça sauf pour une médaille. Pas de passion réelle mais un désir de performance, une lutte contre la montre totalement mesurable.
Le sport dionysiaque est une passion qu'il est difficile de transformer en performance sinon par des circonvolutions dignes uniquement de fédérations sportives fédérales rétribuées à la tête de pipe et aux résultats. L'escalade et l'alpinisme sont des sports dionysiaques. Le surf aussi malgré tout ce que mes lecteurs pourront avancer sur Slater et les compétitions… c'est plutôt un sport dionysiaque qui a un haut facteur attractif et une excellente image ludique incitant les gens à vouloir faire parti de la tribu (sans même faire le sport) par l'achat des attributs tribaux. La montagne suppose la sueur et la sueur est pas mal moins ludique que la plage!

Être dionysiaque, c'est néanmoins notre chance!
On ressent un plaisir divin à grimper, à être des ''soul climbers''.
Dionysos, dieu de l'extase et de l'ivresse, permet de dépasser la Mort et de conquérir l'immortalité.
Il est clair que, sans Mort, pas besoin de retraite!
On peut donc s'ouvrir une bière…

Il faut que je fasse mon sac : je donne un cours d'escalade demain.

La photo :
George Freeth (Novembre 8, 1883 - Avril 7, 1919), le père du surf moderne. Quelqu'un a ouvert une bière et lui, il a surfé le couvert.
Plus dionysiaque que ça, tu meurs!




JPB






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