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Chronique québécoise par JP Banville, NIVEAU DE CONSCIENCE [escalade-alsace.com]

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NIVEAU DE CONSCIENCE


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Chronique québécoise par Jean-Pierre Banville



Je ne me suis pas assis à mon clavier depuis quelque temps.
Pour d'excellentes raisons! N'allez pas croire que je n'avais rien à dire ou que j'ai décidé d'accrocher mes chaussons. On va m'enterrer avec si jamais la Mort réussit à me pogner dans un coin sombre.

Des raisons familiales qui ne vous intéressent pas du tout. De ces raisons un peu vagues qui ne s'expliquent pas, pas tout de suite, du moins. De ces raisons qui viennent pourrir une vie qui semblait enfin se remettre sur des rails. Un jour à la fois, un jour à la fois…

Tout ça pour vous dire que je suis retourné en salle car le Bonhomme Hiver est arrivé. 75 sorties de route juste aujourd'hui; des commissions scolaires fermées; des services de déneigement débordés. Un gars, au bureau, fait du ski de fond depuis deux semaines : dire que l'année dernière, à la même date, des écolos barbus nous annonçaient que jamais plus on ne verrait de neige avant le Jour de l'An! Il ne manque que la glace et on va pouvoir se geler le bout du nez - et tout ce qui dépasse - sur les cascades. Encore du nouveau à prévoir : il y a tellement de coulées cachées un peu partout qu'on peut y passer une vie sans voir un seul grimpeur autre que ses compagnons. Ce qui est bien.

Signe de la saison, les compétitions intérieures sont réapparues.
La Coupe du Monde mais aussi les petites compétitions locales qui font la joie des grimpeurs n'ayant pas la chance de vivre dans la région de Nice.

Je n'aime pas les compétitions. Pas personnellement. Mais je comprends que plusieurs y trouvent leur compte et en ressortent avec le sourire.
Le seul avantage que j'y trouve, c'est de pouvoir exercer ma passion pour l'ouverture de voies. Je crée en moyenne quatre voies par semaine au gym que ce soit en moulinette ou en premier de cordée… alors quand j'ai l'occasion de participer à la création de cinquante problèmes de bloc, je n'hésite même pas!

Donc, vendredi soir dernier, j'ai créé quelques problèmes allant de difficile à plus difficile que le niveau des participants inscrits. D'autres ont aussi ouverts et c'étaient des bijoux. Cinquante perles qui devaient plaire aux jeunes de dix ans comme aux ''experts'' locaux.
Et ils se sont tous présentés, samedi matin, pour cinq heures ludiques dans une atmosphère électrisante toute chargée de magnésie. Il y en avait tellement, de la magnésie, que les photos avec flash étaient gâchées : les mêmes personnes vont aller se plaindre, ailleurs, de l'exposition potentielle aux fibres d'amiante! Attendez dans vingt cinq ans… la poudre qui tue…

Parlant de poudre et de compétition.

Je n'ai pas commenté les accusations de dopage portées contre un grimpeur connu lors d'une compétition. Je crois d'ailleurs qu'il a avoué certains problèmes de consommation!

Remarquez l'étymologie : ''consommation'' - ''compétition''.

Je crois que nous en sommes rendus là. Il faut se rendre à l'évidence : le monde de la grimpe est gangrené par la compétition… oups… par la consommation…

Je l'ai vu, en fin de semaine!
J'ai vu les grimpeurs s'échanger de petites pilules.
J'ai vu les grimpeurs sortir pour profiter d'un joint entre deux essais.
J'ai vu les grimpeurs se réfugier aux toilettes pour profiter d'une poudre autre que la magnésie.

Ceci dans une compétition locale dont les prix ne dépassaient pas 65 Euros. Pour le gagnant!
Et quelqu'un va tenter de me faire croire que ce n'est pas pire dans les compétitions majeures ? Que les Olympiques ne saliront pas à jamais l'idéal de notre activité?
Et ne me parlez pas des contrôles : vous savez aussi bien que moi qu'ils sont toujours deux ans en retard sur les techniques de dopage. Regardez le vélo ou le baseball.
Ne me parlez pas non plus du fléau de l'alcool : je ne connais personne qui performe bien avec un litre de vin dans le corps. L'alcool n'est pas un stimulant : si c'était le cas, il y a longtemps que je serais un Dieu du stade.

Mais, encore plus, cette perversion en dit long sur notre société.
C'est acceptable socialement de modifier son niveau de conscience pour pouvoir performer à son meilleur.
C'est acceptable socialement de consommer sans même s'en cacher lors d'une compétition amicale.
C'est acceptable socialement d'associer drogue douce et sport nature, de mélanger le thrill de la grimpe avec le buzz d'un joint et d'un comprimé d'Extasy.

Personne n'en parle. Magazines, sites web, fédérations et clubs, salles commerciales : motus et bouche cousue. Notre réputation est toute blanche… mon œil… blanchie avec quoi, la réputation?
Les mêmes personnes qui vont vous bourrer le crâne de commerce équitable et d'économie durable, ces mêmes individus sont souvent à équitablement et durablement subventionner le crime organisé.

Je ne suis pas ici pour vous faire la leçon.
Je suis trop vieux et d'ailleurs je vais m'ouvrir une bouteille de vin dès que cette chronique sera terminée. Je n'ai rien à prouver. Je crée mes voies et si les grimpeurs sont contents, je suis aux anges. Même si personne ne vient me remercier après coup : ouvrir, c'est très ingrat et dévastateur pour ceux qui espèrent la reconnaissance de leurs pairs.
C'est un triste constat que je suis obligé de faire.

Nous avons, collectivement, besoin de béquilles.
Il y a quarante ans, on souhaitait que l'humanité augmente son niveau de conscience, on espérait un homme meilleur, on espérait une fraternité universelle, on désirait la liberté, on voulait briser les chaînes tenant les peuples sous la servitude.
''Ecrasez l'Infâme!'' disait Voltaire…
Les rêves se sont-ils donc brisés face à une réalité plus dure que le granit?
Avons-nous échangé les chaînes pour des béquilles, vivant une réalité que l'on voudrait virtuelle? Celle de ces héros de plate-forme de jeu qui ne connaissent ni la fatigue, ni la défaite, possédant plusieurs vies, étant tout partout à la fois.

Je ne suis pas sociologue. L'avenir jugera bien de nos torts et de nos dérives.
Hélas les dérives ont cela qu'elles amènent loin du port choisi et que la destination finale n'est souvent qu'un lieu d'esclavage.
Pour le moment, je bois mon verre de vin et je regarde dehors, toute cette poudre blanche qui se transforme lentement en glace quelque part où je n'ai jamais mis les pieds encore.
Conscient et content de l'être. Je vis mes gros problèmes un jour à la fois sans artifice en sachant que la grimpe est là pour me sauver ou, tout au moins, pour me garder sain d'esprit.

Allez! Un autre verre de rouge et je vais pelleter…




JPB






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