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© Escalade Alsace
Yann Corby


Récit d'une belle aventure

Texte: Thomas Leleu


Gueb'

Déclarer que Gueberschwihr est l'historique temple du haut niveau alsacien relève sans nul doute de l'euphémisme. Il suffit de citer quelques noms de voies ou d'évoquer tel grimpeur haut-rhinois de la "grande époque" pour s'en convaincre. Bien sûr, certains locaux pourront bien mieux que moi vous conter les premières acensions, les querelles éthiques et autres anecdotes qui firent résonner les parois de l'amphithéâtre de Guebersch' au cour des années 80-90… alors, je me contenterai d'évoquer Jean-Pierre Minnazzi, Jacky Issler, Michel et Pierre Bollinger, Serge Haffner, Christine Gambert, et tout un microcosme zal très actif pendant ces années héroïques et "intenses".
Gueb' c'est effectivement un grand livre de la petite histoire de l'escalade locale : on pense à L'Action du Temps et Protection Rapprochée, premiers 8a d'Alsace en 1985 et 86, on frémit à l'évocation des fissures d'EUFM et Arabesque, on se souvient de la libération par Jean-Minh Trinh-Thieu de Libre à Toi en 1995.
Mais la Carrière et les blocs de ce petit morceau du piémont viticole, c'est surtout le lieu de naissance à l'escalade de bébé Bollinge, qui entrera ici, à 16 ans, dans les sphères du haut niveau avec la deuxième répétition de l'Art, qui libérera l'ex-Mythoman et une multitude de blocs extrêmes et enfin empochera avec sa version de Protec', le premier 8c d'Alsace.


2000

En 2000. Pierre Bollinger attire mon attention sur une ligne située à gauche de Droit d'Hauteur, équipée par son papa en 96-97 sous les injonctions du fiston : "Il y quelque chose à faire là-dedans…".
On passe une après-midi dans la voie, mais ça rase fort…
Pierre retournera quelques fois dans la voie : il entrevoit une méthode, mais malheureusement une prise de pied cruciale cède et rend le passage fort problématique. Je tente ma chance de mon coté : j'arrive à atteindre une meilleure prise, plus éloignée que celles utilisées par Pierrot, mais je suis si crucifié, qu'il me semble presque impensable d'envisager la suite. Au mieux j'arrive à 200 km/h sur la réglette suivante.


La Croisade

Les années passent… De temps en temps je remonte dans le projet. Je tente d'autres méthodes. J'essaye de prendre l'inversée main droite pour chercher directement la réglette main gauche : ça marche moyen. Je m'entraîne : poutre, tractions de doigts… Je reviens, je rase, et puis j'abandonne finalement. Il y a trop de problèmes…


Décembre 2008

C'est l'Hiver avec un grand H ce samedi matin. J'ouvre les volets : 10 cm de neige sont tombés sur Strasbourg, les voitures roulent au ralenti, les vieux se fracturent le col du fémur sur les trottoirs. J'abandonne l'idée de trouver quelqu'un pour sortir grimper aujourd'hui… Pourtant je n'arrive pas à me résoudre à l'idée de devoir attendre encore le week-end prochain pour tâter du rocher. Grimper en salle alors ? Soigner ma poulie et ma tendinite ? Bof…
Un coup de téléphone à Pierrot : "tu penses que Gueb' ça peut être sec ?"
"C'est possible, mais avec ce qui tombe c'est pas sûr que tu arrives vivant là-bas".
Je pars… ça roule… : petit arrêt au Décathlon pour acheter un Shunt et bouffer une crêpe au chocolat. La neige cesse de tomber. Le vendeur de crêpe semble en être désolé. Une heure et demi plus tard je suis à la Carrière. Les prises du crux sont sèches. La sortie et trempée. Je tire aux dégaines pour passer la corde dans le troisième point.
J'installe le Shunt et commence à repérer les mouvements. L'avantage c'est que je peux travailler dans la durée. Pas d'assureur : je reste 3 heures d'affilée dans le baudrier et, petit à petit, les méthodes se mettent en place. Le plus dur c'est d'encaisser les chutes : la corde est fixée un mètre au-dessus et amortie bien moins les plombs que ma colonne vertébrale. Tant pis : je m'acharne. Finalement je redescends au sol, les pieds gelés, les doigts défoncés, le dos à moitié bloqué mais avec le sentiment d'avoir trouvé LA solution. Retour à Stras'.
La nuit est agitée: impossible de fermer l'oeil : je me demande si la corde ne m'a pas trop soulagé dans des mouvements que, par ailleurs, je n'ai fait qu'esquisser. Le lendemain je suis debout à 6 h00 : Impossible de lever la tête. J'ai le haut du dos complètement bloqué. On verra bien, j'y retourne en espérant que ça s'arrangera. C'est plus difficile en deuxième jour: j'ai du mal à me remettre dans la voie. Trop mal aux doigts. J'ai le sentiment qu'il fait plus froid…
La semaine au boulot: difficile de me concentrer. Antoine a accepté de m'accompagner le week-end prochain.


www.strasbourg-météo.net

C'est le début des vraies séances: mais putain ça caille !! Je mets aux points les méthodes. Je nettoie quelques prises de pieds, tente des placements… À la fin de ce premier week-end avec Antoine, j'ai fait une bonne partie des mouvements séparément. J'ai encore du mal à chercher la réglette main gauche et à retenir le ballant, et je rase vraiment dans le jeté final.
Les semaines se succèdent. Je m'entraîne : une séance de poutre le lundi : contrat-minute + muscu. Une séance de force le jeudi : traction lestée, traction un bras, suspension un bras sur un centimètre en tri tendu, en arqué…
Dans la voie, ça avance… mais il faut composer avec la météo. Après la pluie, une coulée raye tout le dévers et imprègne d'eau deux prises primordiales. Il nous arrive de faire l'aller-retour sans pouvoir grimper. Parfois c'est le froid qui nous empêche de sortir les mains des moufles: on fait un feu et on grimpe peu…
Reste le problème du clippage. Je fais ma petite crise d'éthique : pas question d'acquérir les points ou de partir prémousquetonné. Finalement je rallonge la deuxième dégaine pour pouvoir clipper avant le premier mouvement dur. Mais le mousquetonnage reste difficile et il ne vaut mieux pas tomber avec le mou en main. Par ailleurs, impossible de clipper la dernière dégaine : je saute le point au jeté. Heureusement Antoine, rompu aux exercices de sauvetage Pfalzsiens, excelle dans l'assurage "qui craint" et parviens invariablement, et à 10 cm près, à m'éviter la réception sur la terrasse et la double fracture...
Les mouvements sont de plus en plus maîtrisés. Je commence les essais…
C'est laborieux : je tombe au mouvement de l'invers', pour chercher la réglette, avec le ballant, à la mise en place du jeté…. Etc.
Finalement, début 2009 je tombe au jeté final. Le problème c'est que je n'arrive pas à me libérer dans ce mouvement. L'appréhension est trop forte. À chaque chute, je traverse la falaise et effleure l'éperon gréseux en bas.


La Puce

Depuis quelque temps, en redescendant de La Croisade, j'observe les prises de la ligne voisine. Certains ignorent peut être que la première version de Mythoman équipée dans les années 90 passait en ligne droite vers le sommet. Les habitués ont certainement déjà repéré une ancienne cheville, sans plaquette, à droite de Mytho : c'était le projet d'origine qui fut abandonné au profit de la ligne actuelle traversant un peu vers la gauche. La semaine dernière je tentais ma chance rapidement en fin de journée: rapidement je décryptais le passage. Il s'agit simplement de jeter très loin vers un bac : c'est extrême, il y a peut-être 2m entre les prises. Peu habitué à ce genre d'acrobatie, je parviens toutefois à effleurer la prise d'arrivé. Sans nul doute, voici un projet pour Chen.


Epilogue

31 Janvier.
Chen m'accompagne à Gueb'. Je lui montre la ligne. En moulinette, il tente le saut et touche la prise de réception. Nouvelle tentative, il s'envole : une phalange coiffe le bac. Encore un essai : deux phalanges. C'est impressionnant ! Chen est survolté, il enchaîne les essais sans repos. Il saute, bondi, s'envole, décolle pour finalement saisir le bac d'arrivé.
De mon côté, je fais un bon essai à tomber au jeté final de La Croisade. On décide de revenir le lendemain. 1er Février. 0°C
Pierre de passage à Colmar, nous accompagne.
Chen, qui a passé la nuit (!) à faire la fête, a ramené une plaquette pour compléter l'équipement de La Puce. Les essais s'enchaînent de part et d'autre sous les encouragements du maître des lieux.
Je n'ai jamais fait autant d'essais dans la journée : la présence de Pierre me pousse à me surpasser. Malgré sa nuit blanche Chen multiplie les tentatives… L'ambiance est électrique : Gueberschwihr, la Carrière, Pierre Bollinger….
Il est 17h00 : il va faire nuit. Allez une dernière tentative ! Je cours dans la clairière pour me réchauffer. Je tape un essai dans la foulée.
Sans comprendre ce qui m'arrive je me retrouve à saisir le bac final. Je rampe jusqu'au relais : c'est fait !
Comme la journée semble devoir se terminer parfaitement Chen se satellise dans La Puce et enchaîne à son tour.



Thomas libère La croisade 8b/c [photo: Florent Wolff]


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