Tout au bout du champ du bonhomme Mousseron
s’élève une falaise verticale d’une quarantaine de mètres : le Mur des
Picous.
Ah! Le Mur des Picous… parcouru de dizaines de
voies et de variantes; conquit par les grimpeurs depuis près d’un siècle;
couvert de scellements et de vieux pitons tellement qu’il crée une variation du
champ magnétique local; taillé puis retaillé par des générations d’ouvreurs qui
découvraient une nouvelle fois la falaise; digne d’intérêt puisque mentionné
dans trois topos dont un de Rockfax; site phare de l’escalade dans l’Ain et
digne de mention historique car l’un des généraux de Napoléon y avait perdu une
pipe en faisant les cent pas dans l’attente de la Marquise de Béribéri , sa maîtresse.
En avril, il n’y a personne au Mur des Picous.
Personne?
Et bien, un soir de cette année, attachée à une
dizaine de mètres de hauteur, on pouvait y apercevoir une de ces tentes de falaise qu’on utilise à
El Cap, à Squamish, en Patagonie.
Une tente? A une dizaine de mètres de hauteur
sur le Mur des Picous? Un lundi soir d’avril?
La tente brillait dans l’obscurité tel un cocon
orange abritant une luciole frileuse arrivée trop tôt en saison.
Mais aucune luciole dans cet abri!
Grégoire Tipule y enserrait dans ses bras
puissants une Germaine Würm au comble du désir.
Grégoire, habitant un minable garde-robe sous
les combes d’une vieille maison de Belley, avait pris le taureau par les cornes
pour sa première sortie en amoureux avec Germaine. Rien de moins qu’une tente
d’altitude à dix mètres du sol sur une paroi éloignée des regards!
Imaginez : la surface de la tente était plus grande que celle de son
appartement.
Et pas cher de location non plus!
Le magasin ’’La Conquête des Plateaux’’ offrait sur son site web du matériel usagé en location à
la semaine. Il y en avait de toutes les qualités…
Grégoire avait payé moins que rien pour ce
petit bijou 100% coton égyptien ayant appartenu à l’explorateur anglais Shipton
qui l’avait dans ses bagages lors de son voyage en 1933.
Depuis leur rencontre à la Saint Valentin que Grégoire n’avait d’yeux que pour les attributs de Germaine. Et en
prime, elle grimpait… ils avaient grimpé ensemble le mur du Lycée de Belley, le
mur de l’Institut de Lhuis, le mur du Stade de Culoz.
De Culoz, ils avaient décidé de passer aux
choses sérieuses!
Grégoire était sur le dos et ne portait plus
qu’un élégant harnais haut de gamme d’un manufacturier bien connu.
Germaine, plus coquette, étrennait un harnais
intégral qui mettait en valeur le galbe de ses seins et les rondeurs de son
postérieur.
Après quelques passes d’armes, ils en étaient
rendus à l’assaut final.
Grégoire détacha la boucle de son harnais.
¨ Mais qu’est-ce que tu fais là, Grégoire! Il
faut que tu gardes ton harnais : c’est la seule chose qui nous relie à la
paroi…¨
¨ Pas de problèmes! Tu vois, chérie, la tente
est fermée… je ne peux pas tomber. Et elle est attachée à neuf scellements
posés dans la falaise. C’est du solide! Avec ce harnais… et bien la boucle
d’assurage m’empêche d’atteindre mon potentiel optimal… tu veux que j’atteigne
mon potentiel maximal n’est-ce pas, coquine??¨
En moins de temps qu’il ne faut pour dire
’’nœud en huit’’, le harnais pendait, accroché à une boucle de suspension.
C’était la seule chose qui pendait dans la tente, d’ailleurs!
Germaine se jeta sur son grimpeur comme un
pompier sur sa lance à incendie.
En quelques minutes, la tente se balançait
contre la paroi avec la régularité d’un métronome.
Puis le métronome se dérégla, augmentant la
cadence à mesure que le niveau sonore grimpait en décibels. Tous les petits
animaux de la forêt dressèrent l’oreille : un nouveau prédateur venait-il
d’investir le boisé?
On allait vers un paroxysme jamais vu sur le
Mur des Picous depuis qu’une foule y avait applaudi la Mouche dans une voie de 8b en 1978.
Hélas, les coutures 100% naturelles de la tente
de coton égyptien en avaient déjà vu d’autres et, malheureusement, celui de
Grégoire en était un de trop… le poids conjugué des deux corps allié à l’action
débridée centrée au beau milieu de la toile de fond de la tente créa un stress
puis une rupture catastrophique.
Tout le haut du corps de Grégoire passa à
travers la faille et il disparut dans la nuit.
Mais pas totalement…
Germaine, assise sur ses jambes, retenait le
pauvre homme à la hauteur des genoux.
Elle était attachée. Lui ne l’était plus! Elle
se tenait sur la moitié saine du plancher.
¨ Surtout ne bouge pas, Germaine, ou je tombe
dans le vide!¨
¨Mais je fais quoi, là? Il n’y a plus de fond à
la tente et tu n’es pas attaché…¨
¨ Attrape le portable dans la poche latérale, à
droite et demande les pompiers… mais surtout ne bouge pas! ¨
Germaine, il faut l’avouer, savait garder la
tête froide. Elle se cala sur les tibias velus de son homme, saisit le portable
et appela les secours.
¨ Tu ne trouve pas qu’il fait froid, Grégoire?
Je vais passer ma polaire… les secours ne vont pas tarder… Grégoire, tu
m’entends? Ne bouge surtout pas d’un poil et tout va bien se passer… les
pompiers m’ont dit qu’ils seraient ici dans une trentaine de minutes! Courage,
les secours sont en chemin…¨
Les pompiers arrivèrent vingt sept minutes plus
tard. Le temps d’analyser la situation, de monter un treuil au sommet, de faire
descendre un volontaire qui réussit tant bien que mal à passer une ceinture à la
taille de Grégoire, de stabiliser le pauvre homme, de le descendre et de
l’attacher sur la civière… il s’était bien passé une heure et demi.
Il y avait longtemps que le potentiel maximal
avait diminué jusqu’à devenir filiforme. La température proche de zéro alliée à
une position de trapéziste conservée trop longtemps avaient réduit à néant tous
les espoirs d’échanges de fluides de Grégoire pour les quelques prochains mois.
Le docteur Natron, généraliste à l’hôpital de
Belley, reçut le blessé et l’examina avec perplexité. Enfin un cas digne de
publication! Tous les mensuels de médecine seraient intéressés à publier son
article sur ce cas pour le moins particulier.
Mais pour le moment, pas de chance à prendre.
Un traitement choc. Une nouveauté qui venait d’arriver
de Lyon.
La tente hyper oxygénée avec chaleur humide.
Après tout ce temps la tête en bas dans le
froid de la nuit…
Il sonna et la nouvelle infirmière apparut
aussitôt dans le cadre de la porte.
¨ Mademoiselle Clystère… vous n’avez dit avoir
fait l’école de cirque, non? Je vous présente Grégoire Tipule, sonneur de
cloches à l’abbaye des Moustilles. Allez me l’attacher dans la nouvelle tente
avec un maximum d’humidité et ne lésinez pas sur la corde… ¨
Le docteur Natron prit une plume et commença à rédiger.
’’
Le traitement d’un grimpeur libidineux par la tente hyperbare… un cas complexe
avec fixation sur les cordes et atrophie marquée de la Tige de
Jade. ’’
JPB