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© Escalade Alsace
Yann Corby
TRAPÈZE VIOLENT


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Chronique québécoise par Jean-Pierre Banville



Tout au bout du champ du bonhomme Mousseron s’élève une falaise verticale d’une quarantaine de mètres : le Mur des Picous.

Ah! Le Mur des Picous… parcouru de dizaines de voies et de variantes; conquit par les grimpeurs depuis près d’un siècle; couvert de scellements et de vieux pitons tellement qu’il crée une variation du champ magnétique local; taillé puis retaillé par des générations d’ouvreurs qui découvraient une nouvelle fois la falaise; digne d’intérêt puisque mentionné dans trois topos dont un de Rockfax; site phare de l’escalade dans l’Ain et digne de mention historique car l’un des généraux de Napoléon y avait perdu une pipe en faisant les cent pas dans l’attente de la Marquise de Béribéri , sa maîtresse.

En avril, il n’y a personne au Mur des Picous.

 

Personne?

Et bien, un soir de cette année, attachée à une dizaine de mètres de hauteur, on pouvait y apercevoir  une de ces tentes de falaise qu’on utilise à El Cap, à Squamish, en Patagonie.

Une tente? A une dizaine de mètres de hauteur sur le Mur des Picous? Un lundi soir d’avril?

La tente brillait dans l’obscurité tel un cocon orange abritant une luciole frileuse arrivée trop tôt en saison.

Mais aucune luciole dans cet abri!

Grégoire Tipule y enserrait dans ses bras puissants une Germaine Würm au comble du désir.

Grégoire, habitant un minable garde-robe sous les combes d’une vieille maison de Belley, avait pris le taureau par les cornes pour sa première sortie en amoureux avec Germaine. Rien de moins qu’une tente d’altitude à dix mètres du sol sur une paroi éloignée des regards! Imaginez : la surface de la tente était plus grande que celle de son appartement.

Et pas cher de location non plus!

Le magasin ’’La Conquête des Plateaux’’ offrait sur son site web du matériel usagé en location à la semaine. Il y en avait de toutes les qualités…

Grégoire avait payé moins que rien pour ce petit bijou 100% coton égyptien ayant appartenu à l’explorateur anglais Shipton qui l’avait dans ses bagages lors de son voyage en 1933.

Depuis leur rencontre à la Saint Valentin que Grégoire n’avait d’yeux que pour les attributs de Germaine. Et en prime, elle grimpait… ils avaient grimpé ensemble le mur du Lycée de Belley, le mur de l’Institut de Lhuis, le mur du Stade de Culoz.

De Culoz, ils avaient décidé de passer aux choses sérieuses!

Grégoire était sur le dos et ne portait plus qu’un élégant harnais haut de gamme d’un manufacturier bien connu.

Germaine, plus coquette, étrennait un harnais intégral qui mettait en valeur le galbe de ses seins et les rondeurs de son postérieur.

Après quelques passes d’armes, ils en étaient rendus à l’assaut final.

Grégoire détacha la boucle de son harnais.

 

¨ Mais qu’est-ce que tu fais là, Grégoire! Il faut que tu gardes ton harnais : c’est la seule chose qui nous relie à la paroi…¨

¨ Pas de problèmes! Tu vois, chérie, la tente est fermée… je ne peux pas tomber. Et elle est attachée à neuf scellements posés dans la falaise. C’est du solide! Avec ce harnais… et bien la boucle d’assurage m’empêche d’atteindre mon potentiel optimal… tu veux que j’atteigne mon potentiel maximal n’est-ce pas, coquine??¨

En moins de temps qu’il ne faut pour dire ’’nœud en huit’’, le harnais pendait, accroché à une boucle de suspension. C’était la seule chose qui pendait dans la tente, d’ailleurs!

Germaine se jeta sur son grimpeur comme un pompier sur sa lance à incendie.

En quelques minutes, la tente se balançait contre la paroi avec la régularité d’un métronome.

Puis le métronome se dérégla, augmentant la cadence à mesure que le niveau sonore grimpait en décibels. Tous les petits animaux de la forêt dressèrent l’oreille : un nouveau prédateur venait-il d’investir le boisé?

On allait vers un paroxysme jamais vu sur le Mur des Picous depuis qu’une foule y avait applaudi la Mouche dans une voie de 8b en 1978.

Hélas, les coutures 100% naturelles de la tente de coton égyptien en avaient déjà vu d’autres et, malheureusement, celui de Grégoire en était un de trop… le poids conjugué des deux corps allié à l’action débridée centrée au beau milieu de la toile de fond de la tente créa un stress puis une rupture catastrophique.

 

Tout le haut du corps de Grégoire passa à travers la faille et il disparut dans la nuit.

Mais pas totalement…

Germaine, assise sur ses jambes, retenait le pauvre homme à la hauteur des genoux.

Elle était attachée. Lui ne l’était plus! Elle se tenait sur la moitié saine du plancher.

¨ Surtout ne bouge pas, Germaine, ou je tombe dans le vide!¨

¨Mais je fais quoi, là? Il n’y a plus de fond à la tente et tu n’es pas attaché…¨

 

¨ Attrape le portable dans la poche latérale, à droite et demande les pompiers… mais surtout ne bouge pas! ¨

Germaine, il faut l’avouer, savait garder la tête froide. Elle se cala sur les tibias velus de son homme, saisit le portable et appela les secours.

¨ Tu ne trouve pas qu’il fait froid, Grégoire? Je vais passer ma polaire… les secours ne vont pas tarder… Grégoire, tu m’entends? Ne bouge surtout pas d’un poil et tout va bien se passer… les pompiers m’ont dit qu’ils seraient ici dans une trentaine de minutes! Courage, les secours sont en chemin…¨

Les pompiers arrivèrent vingt sept minutes plus tard. Le temps d’analyser la situation, de monter un treuil au sommet, de faire descendre un volontaire qui réussit tant bien que mal à passer une ceinture à la taille de Grégoire, de stabiliser le pauvre homme, de le descendre et de l’attacher sur la civière… il s’était bien passé une heure et demi.

Il y avait longtemps que le potentiel maximal avait diminué jusqu’à devenir filiforme. La température proche de zéro alliée à une position de trapéziste conservée trop longtemps avaient réduit à néant tous les espoirs d’échanges de fluides de Grégoire pour les quelques prochains mois.

Le docteur Natron, généraliste à l’hôpital de Belley, reçut le blessé et l’examina avec perplexité. Enfin un cas digne de publication! Tous les mensuels de médecine seraient intéressés à publier son article sur ce cas pour le moins particulier.

Mais pour le moment, pas de chance à prendre.

Un traitement choc. Une nouveauté qui venait d’arriver de Lyon.

La tente hyper oxygénée avec chaleur humide.

Après tout ce temps la tête en bas dans le froid de la nuit…

Il sonna et la nouvelle infirmière apparut aussitôt dans le cadre de la porte.

¨ Mademoiselle Clystère… vous n’avez dit avoir fait l’école de cirque, non? Je vous présente Grégoire Tipule, sonneur de cloches à l’abbaye des Moustilles. Allez me l’attacher dans la nouvelle tente avec un maximum d’humidité et ne lésinez pas sur la corde…  ¨

Le docteur Natron  prit une plume et commença à rédiger.

’’ Le traitement d’un grimpeur libidineux par la tente hyperbare… un cas complexe avec fixation sur les cordes et atrophie marquée de la Tige de Jade. ’’


JPB






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